C’était une fin d’été dans le massif de Belledonne, au sud de Grenoble, à l’heure où les randonneurs redescendent dans la vallée du Grésivaudan. Il se murmure que le lac du Crozet serait le plus beau de la région. Alors on est monté en prendre plein les yeux.
Le topo guide indiquait de se garer à Pré Raymond. Après avoir un peu hésité dans un virage, on engage la voiture sur la piste forestière, pas vraiment prévue pour une petite citadine. Heureusement, on arrive vite à un emplacement un peu plus large où s’alignent une vingtaine de véhicules. Garé. À côté du premier panneau indicateur, un homme attend, son chapeau à la main, et demande :
– Vous montez au lac ?
– Oui, enfin j’espère ne pas me perdre.
– Aucun risque, c’est une autoroute. Si vous croisez Gégé, dites lui que Robert est redescendu.
– Euh, oui, bien sûr. Mais comment je le reconnais Gégé ?
– C’est simple, il a un chapeau, une barbe blanche, et il est avec deux dames, vous pouvez pas le louper.
– Bon, et bien, ok Robert, si je vois Gégé, je lui passe le message.
J’aime bien la montagne, ça créé une proximité qu’on ne retrouve pas ailleurs.
C’est donc affublé de ma nouvelle mission que j’attaque la montée, qui commence par une piste large et en ligne droite à travers la forêt. On arrive au bout de quelques minutes au croisement des Trois ruisseaux, où il faut continuer tout droit sur la piste pendant encore quelques mètres avant de trouver enfin un sentier plus étroit et sympathique. Les sommets, que l’on ne voyait pas jusqu’à présent, se détachent enfin sur le ciel bleu. Il y a pas mal de monde qui redescend, effectivement, mais toujours pas de Gégé à l’horizon.
L’altitude aidant, au bout d’environ 45 mn de marche, on sort enfin de la forêt pour se retrouver dans une prairie où les rochers et pierriers affleurent un peu partout. L’été est là depuis plusieurs semaines, la verdure et les fleurs s’en donnent à coeur joie, rafraîchies par le vent et les torrents qui descendent de la montagne.
Je retrouve finalement Gégé au détour d’un virage un peu serré balisé par un cairn, pour lui délivrer le message de Robert. Je ne vous cache pas que c’est un peu bizarre d’alpaguer quelqu’un en lui disant « Je crois que vous êtes Gégé, non ? », mais la fierté du devoir accompli l’emporte sur le malaise.
On passe un petit torrent qui dévale à toute vitesse pour se retrouver le long d’une conduite forcée qui conduit l’eau du lac jusqu’à la vallée. Le piège est de vouloir suivre aveuglément cette conduite jusqu’en haut, car on arrive sur un côté du lac en cul-de-sac, fermé par un immense pierrier. Il faut donc bien suivre les marques pour contourner le barrage par la gauche, et découvrir enfin (après un peu plus de 2h de marche) le lac du Crozet, qui mérite sa réputation.
Le barrage du lac est assez bas car il est dit « à débordement », ce qui doit être assez spectaculaire au début du printemps à la fonte des neiges. Il y a toute une histoire à raconter autour de ce lac, qui est connu comme étant l’un des lieux où a été inventé la « houille blanche », c’est à dire l’énergie produite par l’eau de fonte des glaciers (en opposition avec la « houille noire », le charbon). En deux mots, c’est un inventeur pyrénéen nommé Aristide Bergès qui, à la fin du XIXe siècle, trouve le moyen de canaliser l’eau venue de la montagne pour la transformer en énergie tout au long de l’année. Ces premières réussites ont eu lieu ici-même, et c’est à lui que l’on doit les aménagements du lac du Crozet pour faire fonctionner sa papeterie et, plus tard, faire de Grenoble la première ville à disposer d’un éclairage public électrique.
Mais même si l’on ne s’intéresse pas à l’histoire du lieu, le lac vaut à lui seul la montée. L’eau est claire et turquoise (et un peu fraîche pour la baignade !). Entouré de montagnes sur trois côtés, il s’ouvre sur tout le massif de la Chartreuse, qui se déploie au nord de Grenoble, surplombant la vallée avec ses falaises abruptes. La vue est à couper le souffle.
Malgré l’affluence, les berges du lac sont suffisamment accidentées pour se trouver des petits coins isolés histoire de faire la sieste, de casser la croûte ou de lire au soleil, ce dont on ne se prive pas.
On peut continuer en direction de la croix de Belledonne et du refuge du Pra, ce que font de nombreux randonneurs en cette fin de journée. Ça sera pour une prochaine fois.
Pour l’heure, il est temps de redescendre par le même chemin. La lumière qui décline offre encore de belles photos sur la Chartreuse et les villages. Demain, cap au nord pour un premier 2000 mètres !