Tignes, le village ennoyé

Il y a 12 ans, je découvrais l’histoire dramatique du village englouti de Tignes. Si plus rien ou presque n’existe encore sous les eaux de l’Isère, l’esprit des lieux et du combat des Tignards est encore bien présent.

Situé dans la haute vallée de l’Isère en Savoie, à 1 683 mètres d’altitude, le village de Tignes a connu sa première fréquentation touristique dès 1920 en devenant un « centre alpin d’été et d’hiver ». D’importants aménagements commencent dans les années 1930, avec la construction d’hôtels, commerces, école de ski et des premiers « monte-pente » autour d’un véritable plan d’urbanisme local.

Mais en 1947, le ministère de la Reconstruction décide l’aménagement d’un important complexe hydro-électrique sur l’Isère afin de faire face aux besoins en énergie du pays. C’est dans ce contexte que naissent les barrages de la Sassière, du Saut et du Chevril. Avec ces 181 mètres de haut, ce dernier alors est le plus grand barrage de France, mais implique l’engloutissement du village de Tignes.

Dès l’annonce du projet, les 400 Tignards refusent de voir leur village noyé sous les eaux de l’Isère et entament des actions devant les tribunaux et le Conseil d’État. Ils mènent des campagnes de presse, font la Une de Paris-Match, sabotent les installations, mais ne s’attaquent jamais aux employés du chantier…
Rien n’y fait : les 5 000 ouvriers habitant dans des baraquements construits sur place travaillent jour et nuit à la construction du barrage.

Pour éviter tout retour des Tignards dans leur village, EDF fait brûler et détruire les bâtiments au fur et à mesure de leur évacuation. Mais quelques habitants refusent toujours de quitter leurs maisons. Afin de les contraindre, EDF décide de la mise en eau du barrage en mars 1952 et fait déménager le cimetière. Les morts sont exhumés sous la protection des CRS, appelés en renfort pour empêcher les sabotages et débordements.

L’eau monte alors au rythme d’un mètre par jour. Le préfet conjure les derniers habitants de quitter le village. Les derniers réfractaires sont évacués par la force et leurs habitations sont dynamitées, tout comme l’église qui sera reconstruite à l’identique quelques mètres au-dessus du barrage, au village des Boisses. Seul le grand pont qui menait à Val d’Isère est encore sous les eaux aujourd’hui.

Le barrage du Chevril sera inauguré le 4 juillet 1953 par le Président de la République Vincent Auriol.

Larmes & Lumière

Larmes pendant ce dernier repas partagé dans la maison familiale qui allait disparaître à jamais.
Larmes pendant ce dernier jour de classe avec cette inscription sur le tableau noir : « Nous ne laisserons pas mourir Tignes. »
Larmes pendant cette dernière messe avec ces cantiques qui s’étranglent dans les gorges nouées.

Lumière de toutes ces fenêtres qui s’éclairent là-haut à 2100 m.
Lumière des villages en fête, des guirlandes qui scintillent.
Lumière de tous les projets partagés qui permettent de mieux vivre ensemble.

Oui, après les larmes de la souffrance, la lumière de l’espérance.

Santa Terra 2004

De passage à Tignes en 2014 lors du dernier assec, on pouvait voir le grand pont tout au fond de la vallée, et mesurer le gigantisme de barrage.


En plus

  • Nostalgie d’un village noyé, par Olivier Bertrand — Libération, 6 mai 2000, sur liberation.fr
  • Histoire du vieux village de Tignes englouti sous les eaux, avec des photos prises lors de l’assec de l’hiver 2013-2014 : glisseavecplaisir.blogspot.com
  • À voir : « La fin de Tignes » reportage des Actualités françaises du 20 mars 1952, sur le site de l’INA
  • À lire : Tignes mon village englouti, par José Reymond — éditions Payot, 1992.