Une journée touristique en Provence

Ce jour-là, on devait rentrer de vacances, mais on n’avait pas envie d’affronter les fameux bouchons lyonnais. On s’est donc arrêté en route, pour profiter encore quelques heures du soleil de la Provence.

Pampérigouste

Je devais être au collège la dernière fois que je suis venu ici, et les lieux ont bien changé. Dans mon souvenir, le moulin était juste à côté du pont du Gard, nous avons dû marcher longtemps pour y arriver et il faisait une chaleur écrasante. En fait, j’avais tout faux. Les moulins de Daudet sont tout proches du petit centre-ville de Fontvieille, qui s’étire le long de la départementale entre Arles et Les Baux-de-Provence, à plus de 30 km du pont du Gard.

Ce lundi matin, c’est le marché sur la place du village. Le sentier part de l’office du tourisme, pour une « promenade familiale de 30 mn » est-il indiqué sur le panneau. On longe la maison de retraite en suivant l’avenue des moulins et l’allée des pins (clichés quand tu nous tiens). De l’autre côté de la route, on croise un premier moulin, scalpé et isolé sur son promontoire, avant de bifurquer sur la boucle pédestre et arriver à celui qu’on a appelé le « moulin de Daudet ».

Le moulin Saint-Pierre (c’est son vrai nom) offre la carte postale que l’on attend « sur une côte boisée de pins et de chênes verts » comme le stipule l’acte de vente entre le meunier et le poète dans ses « lettres ». En réalité, tout comme il n’existe pas plus de village nommé Pampérigouste que d’étude notariale Grapazi, ce moulin n’est que le symbole d’une oeuvre littéraire, où Daudet n’a jamais séjourné. C’est toutefois un vrai moulin, qui fonctionné jusqu’au début du 20e siècle.

Le sentier redescend de la colline dans la forêt où l’on croise un autre moulin en cours de restauration et le château de Montauban où, pour le coup, l’auteur séjourna à l’invitation de son cousin Timoléon Ambroy.

Dans mon souvenir, il y avait beaucoup de monde autour du « moulin de Daudet », on pouvait monter à l’intérieur, et il y avait une boutique de souvenirs pour touristes à côté où j’avais lâché quelques francs. Rien de tout cela désormais. Apparemment, une querelle digne de Pagnol oppose le propriétaire d’un moulin au maire de la commune depuis des années, chacun revendiquant l’héritage romanesque d’Alphonse Daudet (et le droit d’en faire commerce par ricochet !).

Les Carrières de lumières

Juste en bas du village des Baux-de-Provence, il fait bon se mettre au frais des Carrières de lumières aux heures les plus chaudes de la journée. Un incontournable, là encore secoué par des affaires de justice, depuis que les anciennes carrières de calcaire (situées à 500 m de la cité et fermées à l’exploitation depuis 1935) sont utilisées pour des projections géantes. Le concept, inventé en 1975 sous le nom de « cathédrale d’images », a connu un succès jamais démenti jusqu’à aujourd’hui. Depuis quelques temps, un conflit oppose l’inventeur du concept et le maire de la commune, qui a confié l’exploitation des carrières à une autre société en 2012.

Le concept est resté, et il fait fureur. Cet été, on y jouait un spectacle d’une trentaine de minutes sur les œuvres de Chagall, mises en mouvement et en musique pour un rendu immersif extraordinaire. Les images tournent, bougent, virevoltent, au sol et sur plus de dix mètres de haut et au rythme du son spacialisé. Quelque soit l’endroit où l’on se trouve, le spectacle est tout aussi beau et différent, obligeant le spectateur à déambuler et à être acteur de son expérience. Rien à dire, le concept est fascinant.

À la sortie à l’air libre vers l’ancienne entrée des carrières, le calcaire blanc est éblouissant, et le lieu façonné par l’exploitation de la pierre tout aussi spectaculaire. Au fond, une deuxième petite salle est dédiée au cinéaste Jean Cocteau qui tourna un film dont il est le héros dans cet insolite et monumental paysage.

C’est Baux !

Les Baux-de-Provence est l’exemple type du petit village d’à peine quelques centaines d’habitants qui a su faire fructifier son héritage patrimonial et industriel pour entrer à plein dans l’ère du tourisme de masse, version « cliché de la France d’antan retrouvée », option « chic et prestige pour tous ». On monte au village à pied, évidemment, et on se regroupe sur une grande esplanade semi-piétonne qui fait office de point de rencontre pour les groupes d’écoliers et de seniors en vadrouille, qui semblent constituer le gros de la clientèle en cette période d’hors-vacances-scolaires.
Puis on passe dans une petite rue pour découvrir le décor de carte postale attendu, fait de petites rues pavées sinueuses, d’échoppes d’artisanat plus ou moins local et de patrimoine civil ou religieux restauré tout comme il faut.

Juste à côté de l’office du tourisme, une pierre de bauxite nous apprend que ce minerai rouge dont on extrait l’aluminium se nomme ainsi en l’honneur de la commune où il a été découvert pour la première fois par le chimiste Pierre Berthier en 1821. Le nom des « Baux » en lui-même provient tout simplement du mot occitan « baus » qui désigne un escarpement rocheux, terme qui convient parfaitement à la cité.
L’occupation des lieux serait assez ancienne, et c’est donc tout naturellement qu’au Moyen âge une place forte s’y installe, sous l’impulsion des puissants seigneurs des Baux, qui régneront sur la région de l’an 1000 à la Révolution, non sans quelques bagarres avec leurs voisins. Pour la légende, on dit que les seigneurs des Baux ont pris pour blason une étoile d’argent à 16 branches (toujours utilisée comme symbole de la ville) en référence à leur illustre ancêtre, le roi mage Balthazar qui, comme une antique poétesse le rappelle, « suivait confiant l’étoile du berger » 😉

Après avoir arpenté les ruelles, on bute sur le cul-de-sac formé par l’entrée (payante) du château. Si l’audioguide n’a que peu d’intérêt (les panneaux sont suffisants), la visite vaut autant pour l’histoire que pour le panorama. C’est le seul moyen d’embrasser la vue à la pointe de l’éperon rocheux côté sud, vers la Camargue, l’étang de Berre et la mer. Au plus loin, on distingue les usines de Fos-sur-Mer qui s’élèvent au-dessus des plaines.

Du château en lui-même, il ne reste que quelques vestiges qui laissent imaginer ce qu’à pu être cette place forte du temps de sa splendeur, véritable ville dans la ville à moitié troglodyte. Des dessins de bande-dessinée permettent d’imaginer les emplacements des échoppes en bois, et des reconstitutions grandeur nature de machines de défense (bélier, trébuchet) font le bonheur des plus petits.
La montée au sommet du donjon se fait « aux risques et périls des visiteurs » par arrêté municipal, mais est curieusement bien balisée et constitue le « sommet » de la visite. C’est venteux, le soleil se reflète sur les cailloux dans la fournaise, les marches sont glissantes et irrégulières, et surtout la vue est magnifique. On aurait tort de s’en priver.


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