Les bains

L’histoire de ces bains est étrange : découverts, abandonnés, redécouverts, puis en grande partie détruits, à la fois difficile d’accès et lieu de promenade dominicale, ils sont évoqués dans la documentation touristique officielle, mais juste assez pour décourager ceux qui voudraient s’y aventurer.

Il est déjà tard dans l’après-midi lorsque j’arrive en haut des falaises, et l’orage approche. L’ambiance parfaite pour s’aventurer seul, sans carte ni GPS, dans une vallée profonde et qu’on dit lugubre… sans trop savoir quoi y trouver. C’est donc avec un bon niveau d’impréparation que j’attaque la descente dans le ravin. Après quelques mètres de chemin, je découvre l’ancienne route, construite à grands frais en 1852. Une infrastructure à elle seule gigantesque, abandonnée depuis la fermeture des bains en 1937, et qui ne cesse de s’effondrer (et me vaudra une belle chute, en plus d’une frayeur).

Plus on s’enfonce dans les gorges, plus l’ambiance devient lugubre. Le fracas de l’eau cache progressivement le bruit de la circulation sur le grand pont au-dessus de la vallée. Mais c’est un petit pont de pierre qui permet de traverser la vallée, au-dessus d’une cascade qui se déverse dans un gouffre.

Le chemin arrive ensuite rapidement vers ce qui reste des thermes proprement dits. Quatre grands platanes marquent l’entrée du site, qui devaient impressionner le visiteur lorsqu’ils n’étaient pas recouverts de végétation. Au bord de la rivière, se dresse la dernière construction encore debout.

Mais avant de m’y aventurer, je traverse la rivière sur le petit pont de métal, star des photographes. Il penche un peu vers l’amont, mais a bien résisté au temps. C’est surtout le seul moyen d’accéder aux grands bassins, qui étaient jadis alimentés par les sources sulfureuses. On distingue encore plusieurs piscines recouvertes de végétation, et surtout la sortie de la source, bordée de cabines de bains.

L’histoire raconte en effet que ce sont les Romains qui, les premiers, ont découvert ces sources chaudes (28°) et leurs propriétés curatives, notamment pour les rhumatismes, et y ont établi des thermes. Devenus une léproserie au Moyen âge, les lieux sont abandonnés au 15e siècle suite à un éboulement rocheux qui fit de gros dégâts. Les sources sont redécouvertes au début du 19e siècle, mais il faut attendre 1847 pour que ces bains deviennent le rendez-vous des bourgeois et des artistes. Les curistes venaient de Paris, de Genève, d’Italie… faisant de longs voyages en train et en fiacre. Outre les bains, on y trouvait quatre résidences, un casino, une chapelle, des écuries, on pouvait écouter la TSF et même téléphoner !

La Première, puis la Seconde Guerre mondiale sonnent le glas de cette période faste. L’exploitation des bains cesse au sortir de la guerre, et malgré quelques tentatives de différents propriétaires pour reconvertir le site, la plupart des bâtiments sont détruits pour raisons de sécurité.
Seul reste donc debout le bâtiment des piscines, que je visite enfin. La végétation recouvre la rambarde de style rocaille, dans un curieux mélange entre nature et ciment. Au premier étage, il ne reste plus grand chose à part un local électrique avec quelques isolateurs en céramique brisés.

Au sous-sol, deux piscines identiques s’ouvrent de part et d’autre. On peine à imaginer l’ambiance de ces bains plongés dans l’obscurité, avec quelques cabines et un étroit passage dont le sol garde des traces du décor tracé dans le béton.

L’orage gronde. Je quitte les lieux, pas très à l’aise tout de même. Je n’ose imaginer l’ambiance des lieux, déjà sinistres à cette heure-ci, en pleine nuit. J’aurais par contre adoré me transporter à la Belle époque pour découvrir ces bains fastueux, qu’un reporter décrit ainsi en 1861.

On aime à reposer sa vue sur ces légères constructions qui font un contraste frappant avec le sombre paysage dont on est entouré. C’est un sourire au milieu de ces rochers. […]
Sous les ombrages, des personnes fraîchement parées jouissaient d’un doux farniente ou faisaient leur sieste, assises sur des bancs formés de racines d’arbres. Des enfants frais et roses folâtraient autour d’une petite fontaine. […]
Un vrai décor pour un peintre romantique !