Parfois, on se dit que l’histoire de France, c’est surtout une histoire de la guerre. La victoire de Marignan, la défaite de Waterloo, la bataille de Verdun… De « nos ancêtres les gaulois », on retient la victoire de Gergovie en Auvergne ou la défaite d’Alésia en Bourgogne (ou dans le Jura, c’est selon), mais bien peu les noms d’autres villes pourtant puissantes mais pacifiques. La cité de Bibracte est de celles-ci.
L’histoire commence comme une aventure de bédé : en 50 avant Jésus-Christ, toute la Gaule est occupée par les romains… Au sommet du Mont Beuvray, la cité de Bibracte domine tout le Morvan et bien plus loin. La capitale du peuple éduen est située au centre d’un territoire aussi vaste que l’actuelle Bourgogne. Son statut de capitale en fait une ville commerçante de près de 15 000 habitants, autant dire une mégalopole, qui s’étend sur plus de 100 hectares entourés d’un mur de 3,5 kilomètres de long. Un mur (et non une muraille défensive) de terre, de bois et de pierre, de quatre mètres de haut, complété par un fossé d’égale profondeur, qui impose aux visiteurs de passer par l’une des imposantes portes de la cité pour entrer et… s’acquitter d’un octroi. Ils ne sont pas fous ces gaulois.
Parmi les élites qui règnent sur cette cité prospère, on fait la connaissance de Diviciacos, le seul druide gaulois dont l’identité est parvenue jusqu’à nos jours. Un fin diplomate ce Diviacos. À l’époque, les peuples gaulois sont nombreux, et pas vraiment fédérés. De son côté, Rome cherche a étendre son empire, non pour réduire les gaulois en esclavage, mais pour leur faire accepter son modèle de civilisation. C’est ainsi que les éduens (comme d’autres peuples) ont signé une alliance avec Rome, chacun y trouvant un intérêt : commercial pour les gaulois, ou d’influence pour les romains.
La puissance commerciale de Bibracte est avérée par les archéologues. Aujourd’hui encore, lors des fouilles qui y ont cours tous les étés depuis plus de 30 ans, on retrouve des tonnes et des tonnes d’amphores dont on ne sait plus quoi faire.
Mais revenons en 58 avant notre ère. Quand, quelques années après le traité, le peuple helvète s’engage dangereusement sur le territoire éduen, Diviciacos fait jouer son alliance avec Rome. Les troupes de César remontent le Rhône et la Saône jusqu’à couper la route aux combattants helvètes. La grande bataille entre les troupes romaines et gauloises eut lieu à environ 25 km à l’est de Bibracte, mais personne n’en n’a encore trouvé l’emplacement exact. Selon César, elle aurait fait plus de 250 000 morts chez les gaulois (oui, il était probablement un peu marseillais). Bibracte reçoit donc pour la première fois la visite de l’empereur romain en personne.
Malgré cette dette envers Rome, la capitale éduenne n’en reste pas moins gauloise. Six ans plus tard, quand les peuples gaulois décident finalement de se fédérer pour contre-attaquer l’empire, c’est à Bibracte que les chefs de clan se rassemblent pour confier le commandement des troupes à Vercingétorix. Quelques mois et 200 km plus loin, ledit commandant déposera les armes face à César après avoir été encerclé et affamé à Alésia.
Pas rancunier, César viendra à Bibracte se reposer de cette victoire et mettre un point final à son best-seller « Commentaires sur la guerre des Gaules » lors de l’hiver suivant (passer l’hiver au sommet du Beuvray, il est fou ce romain !).
C’est à un autre empereur romain que l’on doit la disparition toute pacifique de Bibracte, quand Auguste, autour de -15 avant J-C., fait construire dans la vallée une cité à son nom, Augustodunum (aujourd’hui Autun). Tout le monde peut voir la ville nouvelle depuis la rue principale de Bibracte, et son confort moderne, tout comme son climat plus clément, finissent par attirer bon nombre de citoyens en bas du Mont Beuvray. La cité de Bibracte se vide rapidement et disparaît à tout jamais.
Le site abandonné est une aubaine pour les archéologues. Contrairement aux villes modernes de multiples fois reconstruites, Bibracte s’est arrêtée de vivre il y a 2 000 ans, laissant un formidable témoignage de la vie de l’époque. C’est un négociant en vin passionné d’histoire, Gabriel Bulliot, qui met au jour les premières traces de la cité éduenne au milieu du 19e siècle. Le lieu étant désert, il fait construire une petite chaumière ironiquement baptisée « Hôtel des Gaules » pour s’installer au milieu de son champ de fouilles. Son neveu Joseph Déchelette prend sa suite jusqu’à sa mort 1914 sur le conflit. Puis plus rien jusqu’à la « redécouverte » de Bibracte en 1984 sous l’impulsion d’un certain François Mitterrand, dont le fief électoral ne trouve non loin de là.
Depuis, les campagnes de fouilles s’enchaînent tous les étés, conduites par des équipes d’étudiants en archéologie sous la direction de chercheurs du monde entier. Les trouvailles sont considérables, et présentées dans un beau musée situé en bas de la colline. L’architecture est moderne, la scénographie vient d’être revue avec de chouettes dispositifs interactifs, et le contenu est passionnant.
La visite de la cité au sommet du Beuvray nécessite d’être accompagnée par un guide pour en comprendre toutes les subtilités. Comme l’histoire de cet étrange bassin situé au milieu de l’artère centrale Bibracte. Composé exactement de deux cinquièmes de cercle, sa construction utilise à la fois le théorème de Pythagore et de bonnes connaissances en astronomie pour que son centre soit éclairé deux fois par an aux solstices. Il est disposé tel un nombril exactement au centre de la ville, ne faisait pas l’objet d’un culte particulier, mais son rôle reste encore un mystère.
Ce qui plait aux étudiants (certains sont venus pour la première fois à 13 ans en colonie de vacances et reviennent auréolés d’un doctorat quelques années plus tard), c’est la démarche d’archéologie expérimentale qui a toujours eu cours à Bibracte depuis sa renaissance. On essaie de retrouver des techniques de construction, mais aussi de cuisine.
La chercheuse Anne Flouest, qui a longtemps travaillé à Bibracte, en a même fait son thème de prédilection, s’attachant, grâce aux fouilles des foyers, des cultures, et autres dépotoirs gaulois, à reconstituer des recettes de cuisine de l’époque. Ne cherchez donc pas un vulgaire snack à la sortie du musée, mais rendez-vous au « Chaudron », le restaurant de Bibracte, garanti 100 % gaulois. C’est rigolo, c’est sain, et en plus c’est bon ! A défaut de rencontrer Anne Flouest (qu’on pourrait écouter parler des heures) au salon de l’agriculture à Paris où elle est régulièrement invitée, on peut se procurer son livre de recettes à la boutique du musée, pour épater ses invités de retour à la maison.
En plus
- Le site du musée : www.bibracte.fr
- Quand les Echappées belles de France 5 rencontrent Anne Flouest : education.francetv.fr
- L’innovation à Bibracte : vimeo.com
- Les « Commentaires sur la guerre des Gaules » de César lui-même, et particulièrement son « Livre I » dont le début raconte la bataille avec les Helvètes au pied de Bibracte : wikisource.org